Récit – La clef des champs

Avec l’impression d’avoir traversé tout le pays (200km), nous sommes enfin arrivés dans le parc naturel du Chitwan, pas très loin de la frontière avec l’Inde, chez le frère de David (directeur de l’orphelinat), pour passer quelques jours à l’occasion du festival Darshain.
Le Chitwan avant les années 50 était une jungle impraticable et marécageuse. Cette région était idéale pour la culture car totalement plane comparée aux montagnes sur tout le reste du pays. Le gouvernement a alors commencé sa déforestation. Le bois a été utilisé pour la construction de villages, de maisons, de charrettes, de barrage et la terre pour former d’immenses rizières.
Cependant, cette pratique a repoussé la faune et la flore et a détruit de nombreuses espèces.
Aussi, sous la pression des associations de protection, le gouvernement dans les années 70 a décrété cette région parc national stoppant net la déforestation. Elle est maintenant inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco et abrite des espèces en voie de disparition qui sont l’emblème du Népal comme le Tigre du Bengale et le Rhinocéros unicorne.

Cette région est devenue très pauvre car les habitants ont été délaissés par le gouvernement (pas d’électricité, pas de route) et ne vivent que d’agriculture et d’élevage.

En compagnie de David, dès mon arrivée, je découvre cette région et ses habitants qui me regardent d’un air intrigué. Deux vieillards qui ont un peu abusé de la bouteille viennent à notre rencontre. Ils me parlent en népalais, heureusement j’ai mon interprète David : «C’est la première fois qu’ils voient un occidental, ils se demandent si tu n’es pas le prophète qui vient sauver leur village. » Je ris un peu jaune, David lui est mort de rire.
L’un des deux hommes se met à genoux et m’attrape les pieds en parlant si vite que David ne comprend rien mais continue à se marrer. Je me dis : Mathieu, c’est le moment de rigoler un bon coup. Je sors de mon sac ma bouteille d’eau et je mouille ma main droite en fermant les yeux. Je pose ma main sur son front et je prononce en français à haute voix une prière complètement inventée. Je sors ensuite un paquet de gâteaux que je partage en deux. Je suis tellement sérieux que tout le monde est bluffé, même David me regarde perplexe. Une fois les deux hommes partis, David me demande si j’ai vraiment des pouvoirs. Je rigole et lui réponds que je n’ai pas plus de pouvoir que de monnaie sur moi.

Les maisons sont très atypiques, les murs et portes sont en bois, le sol est en argile. Les cloisons sont de vieux draps pendus à un fil. Heureusement je dors sur un lit en hauteur pour éviter de me faire bouffer les orteils par un rat ou un serpent.
Ce n’est pas le confort d’un quatre étoiles, à l’image des toilettes qui se situent au fond du jardin à côté de la porcherie. Je ne sais pas si c’est l’odeur de la porcherie qui masque l’odeur des chiottes ou le contraire, mais en tout cas ça débouche les narines (Très efficace contre le rhume).

Le soir, impossible de trouver le sommeil à cause du bruit strident de ces saletés de moustiques. Je me suis empâté 3 kilos de citronnelle sur le corps et sur les vêtements et j’utilise un gadget à ultrasons acheté à nature et découverte.
Et bien, soit on s’est foutu de moi, soit cela ne fonctionne que sur des moustiques français, mais en tout cas les moustiques népalais eux, ils ne m’ont pas raté.

Le lendemain matin, je suis réveillé par une odeur ressemblant à celle d’un cochon grillé. Je sors de la maison, personne, enfin si, il y a une tête de chèvre qui brûle sur un bûcher. Suis-je en train de rêver ? Je vais derrière la maison, ils sont tous là, en train de raser le corps sans tête dans une mare de sang. Et oui, lors des repas de fête, on mange traditionnellement de la viande et pour tuer la bête, on lui coupe la tête avec un couteau traditionnel, le « khukuri ».

Voir cette scène au réveil, ça me retourne l’estomac mais j’ai été désensibilisé par ma grand-mère qui, quand j’étais petit, découpait le lapin fraîchement tué à côté de mon petit déjeuner. 3h après ce réveil macabre (vers 9h), c’est l’heure du petit déjeuner et devinez ce qu’il y a à manger ? (des tartines au nutella ? des croissants ?) non c’est bien une assiette de chèvre fraîchement « kutter » comme ils disent. A ce moment là je regrette de ne pas être végétarien.
Bon, je me dis, ça fera un petit déjeuner à l’anglaise avec saucisse, tranche de bacon… Mais ce que j’ignore c’est qu’ils ont réservé un repas spécial pour moi qui suis le «guest». J’ai l’extrême privilège de manger la partie «noble»… Vous vous posez la question comme moi mais qu’est-ce donc la partie noble. La cuisinière qui ne parle pas anglais m’explique avec des gestes, je comprends que dans mon assiette il y a un morceau du cœur, des boyaux et des morceaux de peau découpés en carrés. Je ne comprends pas tout, et, à vrai dire, je ne cherche pas à en savoir plus.
Je ne pensais pas pouvoir relever ce défi, mais dans une telle situation où la famille est réunie et qu’elle n’a les moyens d’acheter une chèvre qu’une seule fois par an, je ne montre aucune réticence et je mange mon assiette comme si j’avais mangé une tartine de beurre à la confiture. J’ai l’impression d’avoir réussi la première épreuve de Kho Lanta mais la journée est loin d’être finie!
Pour le repas du midi j’essaye quand même de m’échapper, je leurs dis que je souhaite visiter les alentours et que je me débrouille pour le repas. Ils acceptent et m’avertissent de ne surtout pas m’approcher de la jungle pour éviter serpents, tigres, léopards… rien de très méchant, avec mon couteau suisse, je ne risque rien.
Je pars donc seul à l’aventure, avec les jumelles et le couteau.
En chemin je rencontre des enfants qui jouent à la balançoire. Intrigués par ma venue, ils ne mettent pas longtemps à sympathiser avec moi et me proposent de monter sur cette balançoire d’environ 5m de hauteur. Elle est faite de bambous et de cordelettes.
Ils me proposent ensuite de m’accompagner pour me faire visiter les environs, ainsi qu’une partie de la jungle. En acceptant, je prie pour que l’on ne finisse pas comme la chèvre de ce matin.

Nous rentrons dans la jungle par une rivière asséchée. C’est la meilleure façon d’y rentrer sans croiser d’insectes ni bestioles et d’avoir un bon champ de vision pour anticiper le danger. Et surtout, c’est l’endroit où l’on peut apercevoir des animaux qui sortent de la forêt pour s’abreuver.
La jungle est très dense et marécageuse. Après plusieurs kilomètres sans apercevoir un seul animal, tout à coup, le plus grand des enfants s’arrête et nous dit : « surtout ne bougez pas, on vient de se faire prendre en chasse par un tigre à notre droite, un léopard à notre gauche, un crocodile en face et une souris derrière ».
En effet, j’aperçois le tigre et le léopard qui approchent à pas de loup, enfin, à pas de tigre et de léopard, le crocodile lui fait le mort mais il est long d’au moins 8m. Quant à la souris je ne la vois pas et pourtant c’est elle qui attaque la première tel un chien enragé.
Elle bondit sur le plus petit d’entre nous ce qui met la panique au sein du groupe et enrage encore plus les félins. Mais à ce moment là, tarzan jaillit d’un arbre et…
Bon ok, après plusieurs kilomètres sans avoir vu un « chat » nous rebroussons chemin.

De retour au bercail, la famille de David m’attend avec impatience et à vrai dire, il n’y a pas qu’elle… En effet, mon assiette du midi avait été soigneusement mise de côté. A croire qu’ils ont fait exprès de ne pas me comprendre. C’est la même assiette que le matin mais froide. Je m’imagine cette fois-ci un bon steak frites et je finis mon assiette en deux secondes. A peine deux heures plus tard, c’est le traditionnel « Tea break ». D’habitude, c’est du thé avec des petits gâteaux. Mais quand j’ai vu le ragoût cuire sur le feu, je me doutais bien que les petits gâteaux je pouvais me les mettre derrière l’oreille. Il y a bien du thé mais comme je l’ai pressenti, il y a bien également des morceaux de chèvre avec du riz soufflé pour l’accompagner.

3h après le « goûter » c’est l’heure…. Du dîner bien sur. La journée gueuleton n’en finit plus, je me doute bien là aussi qu’il n’y a pas de pizza au menu ce soir. Cependant, il ne reste plus de morceaux « nobles ». Je dois me contenter d’un morceau de patte. Ouf !
Après un tel gueuleton, à rendre mon estomac complètement chèvre, et pour anticiper d’éventuels accidents, je m’avale trois sachets de smecta à la fois et garde un rouleau de papier toilette sur moi au cas où…

David me propose de faire une petite balade nocturne dans les environs. Très bonne idée pour la digestion. Finalement ce n’est pas une si bonne idée que cela. Le Chitwan, c’est sa région natale, de plus, ça fait un an qu’il n’est pas venu alors forcément on se fait inviter par tous les gens du village. Et c’est « Je vous sers une petite grenadine, une tisane ? » Tu parles, ils te servent une assiette de viande, et impossible de leur dire non car tu vois que cela vient du fond du cœur.
C’est ça qui est le plus terrible, ils ne t’obligent pas à manger, mais ils ont sacrifié leur seule chèvre pour avoir le plaisir de t’en offrir. Et dans ces cas là, tu es prêt à tout pour ne pas les décevoir.
Les deux premières maisons nous avons droit à notre plat de viande. Mais ensuite je vois David qui n’en peut plus également. Les maisons suivantes nous avons réussi à esquiver les repas. Et heureusement car nous avons fait sept maisons en tout.

Nous allons ensuite sur la place du village. Enfin place, seul endroit où il y a 3 maisons côte à côte. Tous les villageois sont réunis pour assister à la cérémonie du festival. Tout le monde chante et frappe des mains sur des sons népalais orchestrés par des « madals » tam-tam népalais. Les filles habillées en « sari » (robe népalaises) dansent chacune leur tour devant le groupe de musiciens. Pendant la cérémonie, un homme me propose d’assister au sacrifice de sa chèvre pendant la pleine lune en hommage au dieu Durga devant le temple. Sacrifice signifie couper la tête et répandre le sang sur l’autel. J’avais assez vu de chèvres dans la journée, je décline son invitation.

Après quelques jours passés dans cette région dépourvue de tout confort, mais, où il règne une très grande harmonie et où l’on fait d’extraordinaires rencontres, il est temps de repartir sur Katmandou avec un léger pincement au cœur (dans tous les sens du terme).

Malgré la réputation du parc naturel de posséder une très grande diversité d’animaux, je repars un peu déçu de n’avoir vu comme animal que la chèvre de Mr Seguin dans mon assiette mais je préfère cela que finir dans celle du tigre du Bengale.

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