Récit – Jeu du roi du silence

Alors vous allez poser la question mais pourquoi avoir l’idée de faire ça et surtout qu’est ce que la méditation Vipassana ?
Alors pourquoi ?
Je ne sais pas ! Peut être que mon esprit est en quête de spiritualité ou bien tout simplement la curiosité de vivre une nouvelle expérience.
Qu’est ce que la méditation Vipassana ?
Pour expliquer ce qu’est la méditation Vipassana, j’ai pris une définition dans la brochure que je vais tenter de vous résumer.
« Cette technique non sectaire vise à l’éradication totale des impuretés mentales et le bonheur suprême de la totale libération qui en résulte ».
Vous n’avez rien compris ? Je vous rassure moi non plus. En simplifiant, c’est le fait de concentrer son esprit sur toutes ses sensations qu’elles soient corporelles ou intellectuelles, d’observer chacune de ses sensations pour mieux les comprendre et mieux les évacuer. En évacuant ses sensations cela développe en soi un soulagement ce qui engendre paix et harmonie intérieure (comme quand vous lâchez du leste dans votre travail ou dans vos toilettes).

Alors vous vous dites, c’est pile poil ce qu’il me faut ! Mais attendez de connaître le programme !
4h : réveil au dong tibétain (à une heure comme celle-ci, ce son finit par vous hanter les nuits)
4h30 – 6h30 : méditation (assis par terre, les yeux fermés)
6h30 – 8h : pause petit déjeuner (riz au lait, thé)
8h – 11h : méditation (assis par terre, les yeux fermés)
11h – 13h : déjeuner (Dal Bhat : riz, soupe de lentilles, légumes)
13h – 17h : méditation (assis par terre, les yeux fermés)
17h – 18h : pause thé (banane, thé)
18h – 19h : méditation (assis par terre, les yeux fermés)
19h – 20h : cours de méditation à la télé (seul divertissement de la journée, mais assis par terre quand même)
20h – 21h30 : méditation (assis par terre, les yeux fermés)

Pendant toute la durée du séjour on doit s’abstenir de :

  • tuer. Vous allez me répondre « logique », mais quand vous avez une araignée grosse comme une pièce de 2 euros sur le lit, comment faites vous pour lui demander de partir?
  • voler, facile, mais quand vous « crevez la dalle », que vous mangez du riz matin midi et soir, qu’il y a juste en face de la fenêtre de la chambre un bananier rempli de bananes, ce n’est plus si simple.
  • mentir, 10 jours c’est faisable, mais quand le professeur vous demande au bout du deuxième jour combien de temps vous êtes arrivé à vous concentrer et à méditer, pas évident de lui répondre 13 min sur 22 heures assis sur un coussin les yeux fermés.
  • faire usage d’intoxicants. Pour quelqu’un comme moi qui ne fume pas et qui ne boit pas, aucun problème, mais quand vous avez un mal de chien aux jambes, au dos, au ventre, à la tête, que vous avez des problèmes pour dormir à cause des ronflements de votre voisin et que par providence vous avez dans votre sac une boîte d’aspirine. Malgré ma bonne volonté, la dernière règle fut celle de trop, j’ai failli au règlement.

De plus, interdiction pendant la durée du séjour de toute distraction : parler, lire, écrire, écouter de la musique, utiliser des appareils électroniques…

Pour ceux qui sont toujours intéressés, en résumé on passe 10 x 12,5 = 125 heures assis sur un seul et même coussin, bizarrement un coussin qui n’est plus rembourré au milieu ce qui donne l’impression d’être assis sur une planche de bois. Nous devons garder les yeux fermés et rester dans la même position. Dès les premières minutes une véritable fourmilière prend domicile dans vos jambes et vous avez la sensation qu’un forgeron utilise votre dos comme une enclume pour battre le fer. Mais la sensation la plus étonnante, c’est celle de réapprendre à marcher quand la séance se termine et qu’il faut se lever pour sortir du hall.

La seule distraction de la journée c’est la pause repas : plats de riz servis par des cantiniers tirant la gueule et ne regardant que leurs pieds (pire que quand j’étais au collège). Tous les élèves mangent en ligne face à quelqu’un avec qui discuter : le mur. Les seuls sujets de conversations sont le bruit des couverts dans les assiettes. (Ambiance très particulière). Toujours aussi enthousiaste ? Attendez de lire la suite !

J’arrive au centre pour mon premier jour tout excité de vivre une nouvelle expérience et faire de nouvelles rencontres. Pendant la première soirée les pensionnaires (nous) avons le droit de parler pour faire connaissance. Tout le monde exprime son anxiété à l’égard de ces dix jours de méditation intensifs. On apprend également à se connaître à part un homme qui lui se la joue solitaire. Il porte une veste en cuir et une large capuche qui cache son visage. Il fait le tour du centre en marchant la tête baissée, les yeux grands ouverts, avec le regard vide. Ce type me fait flipper, il me rappelle tous ces tueurs à gage dans les thrillers. Bon enfin, des gens bizarres, on en croise partout et pas qu’au Népal.
Il est maintenant l’heure de visiter nos appartements. A ma grande surprise, ma chambre est très convenable, toilettes, salle de bain relativement propres. Le seul souci est qu’il y a deux petits lits, je comprends alors qu’il faut que je partage la chambre avec quelqu’un d’autre. Je me dis que c’est l’occasion de faire connaissance avec une autre personne (pourvu qu’il soit sympa !).
Au moment où je défais mon sac, j’entends un petit bruit. Je me retourne et là je suis nez à nez avec le type à capuche. Je fais un saut de plusieurs mètres. J’aperçois son visage et franchement cela ne me rassure pas. Il a les cheveux très courts et la barbe mal rasée. Il ressemble à un occidental sorti de prison. Il pose son sac sur l’autre lit, je comprends que c’est lui mon voisin de chambre, (Évidemment, sur 150 personnes il fallait bien que je tombe sur lui).
Pour essayer de rompre la glace j’engage la conversation: « Bonjour, excuse-moi je ne t’avais pas entendu arriver, tu m’as surpris, ravis de faire ta connaissance, je m’appelle Mathieu ».
Il baisse la tête, pose son sac par terre et sort de la chambre sans dire un mot.
Des mistrals comme ça, ce n’est pas souvent que j’en prends, je suis planté là comme un couillon ne sachant plus quoi faire. D’un côté je me dis au moins je ne risque pas d’enfreindre la règle d’interdiction de parler avec lui mais de l’autre je vais dormir à trois mètres d’un psychopathe. Et quand vous avez une sœur infirmière qui a fait un stage en psychiatrie et qui vous a raconté tout un tas d’anecdotes, je vous laisse imaginer mon état d’esprit.
Mais pour me rassurer, il y a la première loi : interdiction de tuer.

La nuit commence à tomber sur le centre de méditation et un froid hivernal s’installe. J’enfile absolument tous les vêtements qu’il y a dans mon sac (4 paires de chaussettes, 3 tee-shirts, 2 pantalons, 2 pulls et un bonnet péruvien tout à fait ridicule), si je pouvais, j’enfilerais même mon sac.
Au même moment mon voisin revient dans la chambre et en me voyant, il décoche un petit sourire du coin de la lèvre et commence à s’écrouler de rire. Bon d’accord, avec mes quatre épaisseurs de vêtements, mon allure de bibendum et mon bonnet ridicule je comprends que cela puisse faire sourire mais de là à faire s’écrouler de rire quelqu’un qui toute la journée est resté impassible et solitaire…
Enfin, la glace est brisée et il a même commencé la discussion : « excuse-moi de rigoler mais je n’ai pas pu m’empêcher en te regardant porter ce bonnet en laine » « excuse-moi aussi pour tout à l’heure mais j’avais décidé de ne parler à personne pour me concentrer uniquement sur ma méditation tout au long du séjour ».

Finalement, nous avons longtemps discuté, tous mes préjugés sont balayés, je viens de me faire un nouvel ami. Quand je lui parle de méditation, je comprends tout de suite qu’il ne vient pas en touriste comme moi :

  • Cela fait trois ans qu’il pratique tous les jours la méditation (3/4h par jour).
  • Cela fait également trois mois qu’il s’entraîne spécialement pour ces dix jours : levé à 4h du matin, cinq heures de méditation par jour en restant assis les yeux fermés.

Et quand vient mon tour de parler de mon expérience pour la méditation : j’arrive à rester
10 minutes allongé sans bouger sur un transat au bord de la piscine ? J’arrive à me taire pendant une séance de cinéma ? Bon enfin, je comprends que je ne fais pas le poids alors j’évite de raconter des conneries.
Mais quand je lui dis que je ne tiens pas 10 minutes assis dans la même position, au lieu de me rassurer, il me prévient que les premiers jours vont être très douloureux et il pose un tube d’anti inflammatoire sur le rebord de la fenêtre en me disant de ne pas hésiter à m’en servir.
Après de longues heures de discussions, c’est l’heure de l’extinction des feux. C’est parti pour 10 jours sans paroles.

Dongggggggggggg, Donggggggggggg, il est déjà 4h ???? Ce n’est pas possible, je rêve ! Mais quand quelques minutes plus tard, un des surveillants entre dans la chambre avec une lampe électrique, je comprends que c’est le moment de se lever. Je pars donc en direction du hall de méditation tel un zombie. Je m’assois sur mon coussin qui porte le numéro F16 (coïncidence?) en tout cas je pars pour 2h de vol plané.
Dans la salle, j’entends plusieurs personnes qui ronflent. Au moins, il y a des gens aussi motivés que moi.

Au bout de sept heures, je regarde ma montre, je viens en fait de passer 7 minutes. En faisant le calcul il me reste : 10 x 12,5 x 60 = 7500 – 7 = 7493 minutes ce qui donne 7493 x 60 = 449580 secondes. J’avais donc tenu 100 – (7493/7500)= 0.01% de la période. Après 3 heures de calcul, je regarde de nouveau ma montre : trois minutes se sont écoulées…
Je me dis bon Mathieu, il va falloir que tu trouves un autre moyen de passer le temps.
Pour me motiver, je cherche mon voisin de chambre qui est expert en la matière, pour voir comment il s’en sort. Mais en tournant la tête de gauche à droite pour tenter de le trouver, mon regard croise celui d’un professeur qui par son expression du visage me dit « arrête de gigoter comme un asticot et concentre toi sur ta méditation ». J’essaye donc de me concentrer pour ne pas faire le mauvais élève dès le premier jour.

10 ans plus tard, enfin deux heures plus tard le dong de libération retentit, il est l’heure de prendre le petit déjeuner. Je reconnais tout de suite ceux qui ont l’habitude de s’asseoir par terre, ils se lèvent tranquillement pour sortir du hall. Moi, pauvre occidental que je suis, il me faut 10 minutes d’étirement pour pouvoir déplier un genou. J’ai tellement mal au dos qu’au lieu d’aller manger je retourne dans ma chambre pour aller m’allonger quelques minutes.

En rentrant dans la chambre qu’est-ce que j’aperçois ? Mon voisin de chambre en train de dormir sous son lit, oui, je dis bien sous son lit. Il n’était pas venu à la méditation du matin et s’était couché sous son lit pour ne pas être vu par les surveillants. J’ai du mal à en croire mes yeux.
Je me rappelle des conseils avisés qu’il m’avait donnés la veille : «4h du matin, c’est sûr le réveil va être dur pour toi mais tu verras on s’y habitue vite.», «si je viens ici c’est pour trouver des réponses à mes questions», «quand tu médites évite de penser à autre chose que ta méditation l’esprit peut vite s’égarer et tu peux avoir des problèmes d’insomnie».
Pour me convaincre que cette scène n’est pas le fruit de mon imagination, il est en train de ronfler si fort que ça finit par le réveiller en sursaut. Je me mets face au mur et j’essaye tant bien que mal de me retenir de rire. J’ai peur de perdre mes yeux tellement ils sont rouges et imbibés de larmes.
Ma première journée est très dure pour me concentrer et à vrai dire des moments drôles comme celui là il y en a énormément quand par exemple:

  • Le professeur dit à tout le monde de fermer les yeux et de rester concentré sur ses sensations intérieures et qu’au même moment il y en a un à côté de toi qui se met à ronfler.
  • Ou bien quand tu en vois un bouger discrètement en regardant si quelqu’un ne le voit pas mais manque de chance pour lui, toi, tu n’es pas concentré et tu le regardes, il voit que tu le regardes, cela le perturbe dans ces plans mais trop tard la pression des flageolets du midi est trop forte, le coup part tout seul et fait résonner toute la salle.
  • Ou encore quand un téléphone portable strictement interdit durant toute la durée du séjour se met à sonner dans la poche du professeur avec une musique indienne un peu olé olé.
  • Et pour en revenir à mon voisin de cellule, je me rends compte que son tube d’anti inflammatoire qu’il m’a gentiment prêté, posé sur le rebord de la fenêtre se vide tout seul sans que je l’ai utilisé.

Des moments comme cela sont tout simplement magiques et te donnent des crampes au ventre toute la journée à force de se retenir de rire. Et, plus on se retient, plus on a envie de rire (comme dans les réunions importantes où il ne faut surtout pas rire).
Malgré les bons moments, l’ambiance dans ce centre est très particulière. J’ai l’impression d’avoir laissé à l’entrée mon cerveau en même temps que portable, appareil photo et autres effets personnels. Tout le monde agit comme un zombie, la tête baissée regardant ses pieds sans aucune expression sur le visage (sourire, grimace, peur, énervement…).
Beaucoup de monde quitte en cours de route. De ces personnes il ne reste que leurs coussins vides ce qui donne une impression de perdre chaque jour des camarades au combat. L’envie d’abandon s’amplifie de jour en jour mais je suis bien décidé à rester à bord de mon F16 jusqu’à la fin.

Après 9 ans de méditation, enfin officiellement 9 jours, les participants apprennent la méditation d’amour bienveillant ou de bonne volonté vis-à-vis de tous, dans laquelle la pureté développée pendant le cours est partagée avec tous les êtres (encore une phrase sortie de la brochure).
L’interdiction de parler est abolie et les élèves ainsi que les surveillants peuvent enfin apprendre à se connaître et échanger leur expérience.
Quel bonheur ! Les gens qui d’habitude regardent leurs pieds, te regardent maintenant droit dans les yeux et te disent un « namaste » sortant du fond du cœur avec un sourire radieux.

Si l’ambiance pendant ces dix jours est très particulière, le dernier jour l’est encore plus. Comme un sentiment de libération, chaque personne devient un ami de galère, des amis que l’on a l’impression de connaître depuis toujours.
La joie et la bonne humeur habitent maintenant tout le centre, ça vaut le coup d’en baver tous ces jours pour ces quelques heures de bonheur !

J’ai même fait la rencontre d’une népalaise qui a mon âge et qui parle quelques mots français. En l’ajoutant sur facebook, j’ai découvert que c’est la femme de Charles Sobhraj, français très connu au Népal et surnommé « Le serpent » pour avoir drogué, volé et assassiné des touristes. Avec ma chance, il fallait bien que je sympathise avec la femme d’un sérial Killer.

Vous allez me poser la question, cette technique est-elle efficace. Dans mon cas, je vous répondrai d’un côté non car j’étais bien trop occupé à regarder les mouches voler et les aiguilles de ma montre tourner, mais d’un autre côté l’atmosphère est si particulière, j’ai ressenti énormément d’émotions dans ce centre (joie, tristesse, colère, peur), que je ne peux nier qu’il ne s’est rien passé.
Les premiers jours, j’avais l’impression de me retrouver face à un mur en cherchant à comprendre comment le franchir mais pendant ce séjour j’ai appris à contrôler mon esprit pour atteindre mon objectif.
Ce séjour de méditation restera pour moi une expérience assez invraisemblable pour laquelle je retire énormément de leçons et où j’ai fait de merveilleuses rencontres, notamment, celle avec moi-même.

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