Récit – La marche du Barracuda

Ma sœur a pris deux semaines de vacances pour venir me rejoindre et autant dire qu’elle ne vient pas au Népal pour trier les lentilles du Dal Bhat (plat typique népalais riz plus lentilles).
En effet, au programme neuf jours de trek, avec environ 8 à 9 heures de marche par jour pour monter jusqu’au Barav Kunda, montagne à la frontière du Tibet (4444m).
Dès que ma sœur met les pieds à l’orphelinat, nous préparons nos sacs d’aventuriers pour le lendemain.
Le mot « trek » comparé à randonnée ou balade à pied, ça fait « pro » alors nous chargeons nos sacs en conséquence : boussole au cas où on perde le guide, miroir réfléchissant le soleil pour avertir les hélicoptères de recherches, petit couteau suisse avec fourchette et lame de couteau de 2 cm (ce n’est pas avec cela que l’on peut découper un poulet mais c’est un cadeau offert par des amis pour l’occasion), un kway et un poncho (en cas de grosses averses pendant la période de sécheresse…), de la citronnelle et des ultrasons anti-moustique (il faut rappeler que ce sont des moustiques népalais, à 4000 m il est possible d’en croiser), une trousse de secours digne des grands CHU de Toulouse (et oui, ayant une sœur infirmière, ça n’aide pas à alléger le sac, mais il peut nous arriver n’importe quoi, tout le matos est là : brancard, défibrillateur…).
Enfin bref, si je vous fais la liste de tout ce que nous apportons ainsi que les choses inutiles que nous allons nous trimballer, nous ne somme pas couchés.
Il faut préciser, quand même, que nous avons pensé au plus important et au plus utile : les rouleaux de papier toilette (sept pour neuf jours, on a prévu large au cas où l’un de nous aurait le mal des montagnes).

Lendemain, jour du départ 5h du matin, je suis motivé à bloc, ma sœur l’est moins puisqu’elle est en train de pioncer suite à son décalage horaire.
Motivé, j’essaye mon sac à dos que je vais porter pendant neuf jours, tout de suite, je le repose et je me dis « je vais me traîner ce sac à merde pendant neuf jours ?».
Je repense aussi à tous ceux en France, qui me demandaient, après leur avoir dit que j’allais faire un trek : « Houa, tu es sportif, tu t’entraines un peu dans les Pyrénées ? ». Je leur répondais « oui, oui j’y vais souvent le week-end histoire de m’habituer aux chaussures et à l’altitude ».
Au final, je n’y suis jamais allé. Pour m’habituer aux chaussures, j’allais chercher le pain à pied, pour l’altitude, la boulangerie était au sommet d’une côte.
Je me trouve assis sur mon lit, mon sac de vingt kilos à mes pieds, ma sœur toujours en train de dormir et pourtant je garde le moral car je me dis « nous allons vivre une expérience inoubliable » (je ne vais pas être déçu du voyage).

Arrivé à la station de bus pour le départ, je m’attends à rencontrer le guide, mais finalement, il est accompagné de toute une expédition. Voici la présentation de l’équipe :

  • Un guide : chapeau en cuir et sacoche d’aventurier, il a des faux airs d’Indiana Jones à la façon tibétaine. Malgré son petit ventre bedonnant, ses gros mollets l’affichent comme un bon marcheur.
  • Un vieux porteur : Clint Eastwood népalais au regard de tueur qui fume cigarette sur cigarette. Ce vieux loubard surnommé « Bajais », pour grand père, doit être en fin de carrière mais on sent qu’il en a encore sous le pied.
  • Un jeune porteur : Charlie Chaplin aux yeux bridés. Avec son baggy et ses tennis trouées, il est sans cesse en train de chanter, s’amuser et faire le clown.
  • Un cuisinier : Jean-Claude Vandamme aux phrases incompréhensibles. Jean-Claude, oui, mais au format miniature voir « pocket ». Il est tellement petit et mince qu’il peut rentrer dans son panier pour s’abriter. Nous avons découvert par la suite qu’il a quelques problèmes de bouteille. Autant dire que la fiole de rhum qu’il transporte ne sera pas pour la pâte à crêpe.
  • Et enfin pour compléter ce casting de star, deux occidentaux chargés comme des mulets dont un qui a perdu dix kilos en ne mangeant que du riz matin midi et soir, et une qui dort partout où elle s’assoit pour récupérer ses heures de sommeil.

Maintenant que vous connaissez un peu mieux l’équipe de choc hollywoodienne ou plutôt népaliwoodienne, je vous laisse deviner qui est le lièvre et la tortue.
Avant de vous donner la réponse laissez-moi-vous décrire les personnes dans le bus.

Ma sœur n’a toujours pas récupéré ses heures de sommeil et cherche tant bien que mal à se trouver une position confortable pour dormir (autant dire mission impossible dans un bus népalais).
Le vieux trépigne du pied d’impatience (est-il pressé de gravir la montagne ou d’arriver sain et sauf sans accident).
Le jeune et le cuistot eux chantent comme des rossignols.
Et pour finir le guide lit sa carte.
Il vient m’offrir des bananes sans rien dire mais en moi-même j’ai compris « tiens petit jeune prends des bananes car je viens de lire la carte et gringalet comme tu es, tu vas en avoir besoin».

Trêve d’attente, je vous donne le classement des meilleurs grimpeurs :
En première position, le maillot à pois rouge c’est le grand père « Bajai ». Et oui ce que je ne vous ai pas dit : c’est un ancien légionnaire de l’armée indienne. Il a fait la guerre contre le Pakistan et s’est reçu une balle dans l’oreille. Il trace seul en tête en posant des flèches au sol pour nous indiquer la route à suivre.
En deuxième position, le poursuivant, le cuisinier. On pensait qu’il souffrait car il a le visage d’un rouge écarlate mais dès que l’on a su pour son problème de bouteille, on a tout de suite compris qu’il ne carburait pas à l’eau (d’où la surchauffe au niveau du visage). Heureusement que l’on ne l’a pas fait pisser dans une éprouvette pour test anti dopage !
En troisième ex aequo, le peloton composé du jeune, ma sœur et moi. Le jeune reste avec nous pour nous distraire et au final on ne sent plus nos vingt kilos sur le dos en sa compagnie.
Et devinez qui est la lanterne rouge??? Le guide !!! Les expressions « les apparences trompeuses » ou « l’habit ne fait pas le moine » lui correspondent tout à fait.
Le véritable boulet de l’équipe. On s’est aperçu qu’il ne sait pas lire (dans le bus il tenait probablement sa carte à l’envers).
Toutefois, il sait parler français, enfin il n’avait appris qu’un seul mot : « doucement ».
On a également su que pendant le trek il avait eu des petits soucis intestinaux : pendant les pauses, il partait seul avec une carafe d’eau à la main. Autant dire que l’eau ne sert pas à arroser les plantes. Moi qui avais peur de ne pas être discret avec mon rouleau de PQ dans ma poche.
Avec ma sœur, on se fait un malin plaisir à lui offrir des pâtes de fruits qu’il ne refuse jamais de peur de nous vexer, dommage je n’ai pas pensé à amener des pruneaux.

Avec une équipe comme celle-ci on est loin, très loin de s’ennuyer. Au début ma sœur et moi sommes extrêmement surpris et gênés car ils sont aux petits oignons pour satisfaire nos désirs et les repas sont de véritables plats dignes des grands restaurants.
Tous les jours, nous avons l’impression d’être le jury de Top Chef et les participants ne manquent pas d’originalité pour nous surprendre. Ils nous ont même préparé une pizza à plus de 4000m d’altitude, et quand je dis préparer ce n’est pas 4min au micro ondes, c’est farine, œuf, oignons, fromage, tomate… le tout cuit au feu de bois.

Dans leurs paniers, il y a de quoi reconstituer une cuisine équipée ikéa (plaques à essence, casseroles, fait- tout, couverts, plateau…), il ne manque plus que le lave vaisselle, mais ça Bajai s’en charge.

En plus de la cuisine, ils transportent également d’autre pièces de la maison comme : la salle à manger (grande tente) et les chambres (tentes de deux personnes). Ils nous ont épargné tout de même de prendre une tente pour les chiottes !

Les estomacs bien remplis à chaque départ, nous découvrons tous les jours des paysages qui n’existent même pas dans nos rêves: petits villages de montagne avec rizières, forêts de rhododendrons, désert de rocaille et enfin paysages enneigés. Nous avons la chance d’assister tous les soirs à des couchers de soleil époustouflants au dessus des nuages.
Je profite de chaque seconde jusqu’à ce que le soleil disparaisse derrière les montagnes et j’essaye de me convaincre que je ne suis pas en train de rêver.

Nous faisons sur la route beaucoup de rencontres avec les villageois et d’ailleurs un soir, une famille nous a invités à boire un alcool local, le “Roxy”. Vous voyez la scène des bronzés avec le crapaud dans la bouteille? Bah c’est tout à fait ça, version népalaise!
L’alcool montant à la tête, pour certains plus rapidement que d’autres (par exemple pour notre ami cuistot), nous dansons sur des chants hurlés par des népalais un peu beurrés.
Ils s’arrêtent tout à coup et nous demandent à notre tour de chanter une chanson française. Pour éviter de casser cette si belle ambiance ma sœur se lance la première avec une chanson pour enfant mais sans trop de succès.
C’est à présent mon tour, moi je ne connais que des chansons paillardes, je me dis après tout ils ne vont rien comprendre alors je me lance à plein poumons : « Là haut dans la montagne les deux pieds les deux mains dans la merde, là haut dans la montagne il y avait un gros cul, il y avait un gros cul…. » je vous laisse imaginer la suite de la chanson. Malgré les ricanements de ma sœur sur ces paroles, les népalais dansent et frappent des mains.
Qu’est ce que l’on a rit ce soir là !

Nous avons vécu une superbe aventure, mais ce qui fait un bon film, c’est sa fin imprévisible. Et bien nos acteurs népaliwoodiens nous en réservent une belle.
L’avant dernier jour de trek, le guide change notre itinéraire sans nous concerter pour soi disant visiter une ville près de Katmandou. Nous prenons alors directement le bus au lieu de passer la journée dans un village de montagne.

Sur le trajet il y a beaucoup de barrages de police et à chaque fois nous remarquons avec ma sœur que le guide, Bajai et le cuistot paniquent et surveillent de très près leurs paniers devant les policiers. Bon, pour le guide, peut être qu’il a peur d’avoir un petit souci intestinal en cours de route. Pour le cuistot peut être que ce sont ses bouteilles de rhum qu’il cache au fond de son panier. Mais pour Bajais : l’homme qui a fait la guerre et qui n’a peur de rien (qui durant une nuit a fait fuir un ours qui se servait dans notre nourriture), ça devient très louche.

Nous arrivons le soir dans une ville peu rassurante, notre équipe qui d’habitude est joyeuse et pleine d’entrain devient maintenant très silencieuse et mystérieuse. Même notre rossignol en a le souffle coupé. Nous rentrons dans un restaurant/camping très louche. Le directeur de l’établissement habillé en costard semble très bien connaître notre guide et l’accueille comme un ami. Un de ses employés est venu nous faire la conversation pendant que le guide part seul avec les paniers des porteurs. Il revient vers nous quelques heures plus tard complètement froid et mystérieux et nous dit «désolé, j’étais parti chercher du poulet pour ce soir mais il n’y en a plus ». J’ai envie de lui répondre en népalais « Et mon cul, c’est du poulet ? ».

Avec ma sœur, nous nous sommes posé beaucoup de questions mais avec toutes ces coïncidences (changement d’itinéraire, peur de la police, restaurant louche…), c’est sûr qu’ils ont ramené quelque chose de la montagne et ce n’est pas de la tisane. Mais nous ne cherchons pas à en savoir plus pour ne pas nous mettre en danger. Vu que l’on n’a pas mangé de poulet et que je déteste que l’on me prenne pour un jambon, le lendemain matin je suis chaud bouillant pour la visite et j’ai bien l’intention de me venger à ma façon.

Je commence à m’échapper du peloton pour attaquer le maillot à pois rouges, je me mets dans la roue du Bajais qui d’habitude marche seul. Je suis dans ses pattes et je fais exprès de frotter mon pantalon pour faire du bruit. Cette fois ci, à mon tour de faire les flèches au sol. Stressé par le bruit de mes pas, il marche de plus en plus vite et moi je le colle de plus en plus ce qui impose au groupe un rythme effréné. Ma sœur est dans le coup, aussi motivée que moi elle nous suit de très près accompagnée du jeune. Tant qu’aux deux autres, le cuistot est à deux doigts de nous faire un coma éthylique et le guide a des ampoules aux pieds et des problèmes articulaires .

Nous faisons quand même de petites pauses pour les attendre et quand le guide arrive à notre niveau et déchausse ses chaussures pour s’aérer les pieds, avec ma sœur nous repartons aussitôt en lui disant : « on se rejoint en haut ! ». Bon sur le coup nous avons peut être fait les sadiques, mais nous avons bien rigolé et puis c’est un moindre mal comparé aux peines d’emprisonnement que l’on a peut-être risqué à cause de leurs magouilles.

Malgré cela, le dernier soir, nous avons bien eu du mal à nous quitter tous les six! Bajais , habituellement imperturbable a versé sa larmichette.
J’ai échangé avec le jeune ma paire de jumelles contre son khukuri (couteau népalais qui avait servi à égorger un poulet).
Le guide a offert une écharpe en soie à ma soeur.
Quant au cuistot, lui, il en a profité pour se siffler une bouteille de Gin à lui tout seul!!

Cette aventure reste inoubliable avec des bons moments de rigolades, des rencontres incroyables et des paysages à couper le souffle.

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