Jour du 9 décembre 2011, c’est la veille du départ. Je finis de préparer les cadeaux que j’ai personnalisés pour chaque enfant quand vient l’heure de la distribution. Ils sont tous excités à l’idée d’en avoir chacun un. J’ai l’impression d’être le Père Noël sans la barbe ni le bonnet rouge.
Ils sont tellement heureux et enthousiastes que j’ai peur de leur déception quand ils ouvriront leurs paquets et qu’ils découvriront que ce ne sont pas des choses de grande valeur. J’ai également peur de créer des jalousies. Je ne veux pas passer pour « Le père Noël est une ordure ».
Mais à ma plus grande surprise toutes mes craintes ont été balayées en voyant leurs yeux quand ils ont découvert leur cadeau. Cependant cela n’est rien à coté de ce qu’ils m’ont réservé.
En signe de reconnaissance, la plus grande des petites filles vient en toute humilité m’offrir une paire de chaussettes et s’excuse de la simplicité de son cadeau. Je souris et lui réponds qu’elle m’a offert bien plus que ce qu’elle estimait. Les autres en voyant la scène veulent faire de même et chacun leur tour viennent m’offrir un objet trouvé dans leurs affaires.
Je suis troublé. Je viens de recevoir en pleine figure leur dernière leçon : tu as beau leur offrir toutes les richesses et l’or du monde, en retour ils te rendront bien plus que ce que tu ne peux imaginer. Ces objets reçus de leur part qui sont d’une simple banalité deviennent de véritables trésors à tes yeux.
Je comprends alors la formule magique qui transforme le plomb en or.
Le lendemain, ils m’ont également préparé un comité de départ. Ils me chantent des chansons porte-bonheur et David fait un petit discours. Ils m’offrent également un topi (chapeau népalais) et un Khata (écharpe en soie blanche). L’émotion est à son comble et j’essaye de garder la tête froide pour ne pas m’écrouler de chagrin.
Le taxi m’attend à l’entrée, il est temps de partir. Difficile de trouver le juste milieu entre la tristesse de devoir laisser derrière soi sa nouvelle famille et l’impatience de retrouver sa vraie famille. Les dernières étreintes sont difficiles. Je me dirige vers la sortie car l’émotion devient trop forte. Je monte dans le taxi sans me retourner, sûrement par lâcheté de ne pas vouloir affronter leurs regards.
Sur le chemin de l’aéroport, je ne regarde pas non plus vers l’extérieur qui me rappelle trop de souvenirs.
Sur le trajet, je me remémore tous ces instants vécus durant toutes ces semaines : le chemin vers l’école, le magasin, les douches à la fontaine, le Dalbat, les balades dans le quartier, les nuages de poussière sur la route, les champs de riz, les jeux avec les enfants, les chansons népalaises, les veillées à la bougie, le hochement de tête népalais, les sourires, les rencontres dans le bus, les cerfs volants dans le ciel de Katmandou, les balançoires en bambou, le bruit des voitures, l’odeur des momos en train de frire, les couchers de soleil derrière les montagnes…
Le vacarme de la circulation se masque derrière toutes ces images qui défilent dans ma tête.
La boule au ventre que j’avais eue lors de mon départ de France est revenue mais cette fois-ci je sais exactement d’où elle vient.
Je m’attendais à un départ difficile mais un départ comme celui là, on ne peut pas s’y préparer. Cependant, je n’ai pas versé une seule larme, c’est peut être parce que je suis complètement noyé par le chagrin.
Comment imaginer, recevoir de telles leçons venant d’enfants âgés de six ans à quatorze ans. Je suis venu durant trois mois avec l’intention de les amuser et changer leur quotidien à l’orphelinat. J’espère avoir accompli ma mission. Cependant, demain je serai rentré chez moi et leur quotidien redeviendra comme auparavant. Quant à moi je repars avec un regard différent, des souvenirs plein la tête et des leçons de vie inoubliables. Je me sens ridicule et extrêmement redevable par rapport à ce que j’ai apporté et ce qu’ils m’ont offert en retour…