Après vingt minutes d’adrénaline sur les routes enfoncées qui mènent à l’orphelinat, nous voilà arrivés. L’orphelinat est une vieille bâtisse en briques de trois étages. A peine sorti du taxi, les enfants sont tous à la porte, l’un d’eux avec un bouquet de fleurs à la main qui m’est destiné.
Leurs sourires rayonnent à en faire fondre tous les plus grands glaciers de l’Himalaya.
J’assiste complètement envouté à la plus belle image de mon voyage au Népal.
A partir de ce moment, je sais qu’ils vont faire de mon aventure une leçon de vie inoubliable.
Les premiers jours de mon arrivée, je suis complètement chamboulé, tant de changement d’un seul coup donne l’impression d’avoir reçu une grande claque dans les dents. Je m’y étais préparé, mais aussi violemment, je ne m’y attendais pas.
Heureusement, les enfants sont là pour me remonter le moral, ils sont toujours très souriants et très attentionnés.
Tout ce que je peux dire ou faire les rend heureux, ne serait-ce qu’un petit tour de magie dont ils ne se lassent jamais. Ils aiment apprendre et profitent de chaque occasion pour me poser des questions sur moi, ma famille, mon pays… Ils m’impressionnent de jour en jour par leur culture, leur intelligence et leur habilité à parler anglais.
Le soir dès le retour de l’école, ils s’empressent de finir leurs devoirs pour avoir le temps d’aller jouer dehors avec moi. Le seul endroit à l’extérieur disponible et sécurisé pour jouer, c’est un chantier en construction. Etrange pour un endroit sécurisé me direz-vous.
J’ai récupéré avant de partir, plein de scénarios de jeux de ballon sur internet et celui qui fait l’unanimité c’est le célèbre jeu de la tomate que j’ai nommé « Tomato game » et oui nom international oblige ! En jouant avec eux, je redeviens petit à petit un enfant, ce qui n’arrange pas le directeur qui a un garnement de plus à s’occuper.
L’orphelinat sert également d’église protestante. Enfin église, vous imaginez un autel, des bancs, des escaliers en colimaçon, des vitraux… mais là-bas une salle de jeux avec une croix au mur fait très bien l’affaire. Et oui, le directeur est pasteur et tous les jours nous avons droit aux prières, à la messe matin et soir et à la traditionnelle messe du samedi (jour férié au Népal) à laquelle tous les pratiquants du quartier sont invités.
Pendant cette messe, chacun des adultes doit prononcer une prière en s’adressant à Dieu. Je ne comprends absolument rien à ce qu’ils peuvent dire, c’est tout en népalais, mais je ferme les yeux et baisse la tête en essayant de me faire oublier. Mais le jour de ma première messe, après que plusieurs personnes aient récité leur prière, un gros blanc s’installe, ça doit être une minute de silence avant les chants. Ce silence me paraît bien long, alors je rouvre les yeux et relève la tête, ils étaient tous en train de me fixer. Je comprends alors qu’ils ne m’avaient pas oublié et que je n’échapperai pas à la règle. C’est donc maintenant mon tour de réciter une prière. C’est la panique, je ne connais même pas celle du notre père. Allez, il faut se lancer et ne faut pas hésiter, ça passera peut être inaperçu !
Je commence alors :
« Notre père qui est là haut, que ton nom soit sacrifié, que ton règne vient sur terre comme sur la mer, donne nous à manger aujourd’hui, ne nous tente pas avec tes tentations mais délivre nous du mal car c’est toi qui est le plus balaise. Amen »
Ça passe comme une lettre à La Poste. Je suis au bord de la crise de fou rire. Je ne peux m’empêcher à la fin de ma prière de décocher un sourire du coin des lèvres en pensant que je suis le plus pieux des escrocs. Je ne me serais jamais imaginé assister à deux messes par jour. En effet quand j’étais petit, c’était « la croix et la bannière » pour me faire rentrer dans une église, il fallait « m’attacher » au banc pour m’éviter de jouer avec l’eau bénite et me «bâillonner » pour empêcher mes bruitages pendant un silence.
Heureusement, les messes là-bas sont loin d’être des messes traditionnelles comme chez nous. Ce sont des chants népalais accompagnés d’une guitare et d’un madle (tam-tam népalais).
Je ne me lasse jamais de regarder et d’écouter les enfants chanter. Leurs voix sonnent parfois faux et cassent les oreilles mais donnent souvent la chair de poule d’émotion et réchauffent le cœur.
Toutefois, ce n’est pas tous les jours rose dans l’orphelinat, à l’image de voir les enfants travailler. Effectivement, pendant leurs temps libres ils font les tâches ménagères (balais, lessive, vaisselle…), la corvée d’eau potable, s’occupent des enfants en bas âge du directeur et autres tâches pendant que lui passe sa journée sur son ordinateur et rend visite à ses amis paroissiens.
Au Népal, ce sont les femmes et les enfants qui travaillent à la maison (bien que la plupart d’entre elles aient également un autre travail). Je ne sais pas trop quoi penser, ni qui blâmer. Je ne suis pas venu ici pour juger et encore moins pour donner des leçons. Mais cette façon de fonctionner me fait poser des questions sur la manière dont est gérée l’association…
Pour essayer de faire culpabiliser le directeur, moi qui suis l’invité, je fais mon possible pour aider aux tâches du quotidien et décharger les enfants, comme :
- M’occuper du petit dernier de 4 mois. Ce qui n’est pas bien compliqué car le petiot est adorable ! Enfin, adorable quand il ne me fait pas pipi ou caca dessus car au Népal les couches sont chères alors on n’en met pas ! Le plus rageant c’est quand vous avez une énorme tâche sur vos vêtements tout juste lavés, il y a de quoi s’énerver. Mais quand vous voyez sa petite bouille d’innocent, au final vous le changez, vous changez de vêtement et tout est oublié.
- Aider à faire la vaisselle. Faire la vaisselle d’une douzaine de personnes, ça fait beaucoup. Alors pour se motiver, on met de la musique indienne, on chante et danse en travaillant.
- Aller chercher l’eau potable à la fontaine. Et oui l’eau du robinet (si par miracle il y en a) n’est pas potable, alors il faut aller chercher de l’eau qui provient directement de la montagne à la fontaine publique. Pour cela, j’accompagne les plus grands et on transporte des jerricans de 20l chacun. Sur le chemin de l’aller, j’offre des petits gâteaux pour prendre des forces.
Après des journées bien remplies, c’est souvent soirée télé dans la chambre de David. Tout le monde s’assoit par terre en silence devant l’écran et la magie des grands « movies népaliwoodiens » opère. Les scènes d’action sont à couper le souffle, nous sommes bien loin des combats épiques de Chuck Norris où des enquêtes palpitantes de l’inspecteur Derrick.
Bien que je ne comprenne pas un seul mot de népalais, je comprends les films du début jusqu’à la fin, tellement les éléments déclencheurs sont prévisibles. Quant aux effets spéciaux : collision, bagarre, explosion…, c’est simple on coupe l’image, on met un peu de bruitage et quand l’image réapparaît, des bouts de débris et du ketchup (pour représenter le sang) sont étendus par terre.
Enfin, bien que ça ne vaille pas un bon cinéma 3D en famille, je reste là à les regarder avec cette sensation de faire partie de leur famille. Et je vois avec grand plaisir, qu’à leurs yeux, je ne suis plus un étranger.